Merci à Alain B. de m'avoir transmis cet article du Nouvel Observateur
(Les liens et la graisse sont de moi)
POUR SÉLECTIONNER LES MEILLEURS, ON DISQUALIFIE LES AUTRES
Pourquoi les jeunes ont peur ?
Le sociologue Olivier Galland dévoile les vraies causes du profond pessimisme des jeunes Français
Le Nouvel Observateur. -Dans votre livre « Les jeunes Français ont-ils raison d'avoir peur ?», vous estimez qu'on ne s'arrête pas assez sur les véritables causes de l'inquiétude croissante des jeunes en France,
beaucoup plus forte que dans les autres pays d'Europe. Pourquoi ?
Olivier Galland. - Parce qu'on a tendance à présenter les jeunes comme les victimes économiques de la société des adultes et à parler de «
discrimination générationnelle ». Or les jeunes sont divisés en deux groupes aux destins très différents. Les non-qualifiés sont effectivement menacés par la marginalisation, mais ceux qui ont un
niveau élevé d'éducation finissent tous par accéder à un emploi stable entre 25 et 30 ans. Pour eux, les difficultés en début de carrière ne sont qu'un tremplin. On ne peut donc pas dire qu'une
génération entière soit vouée à la précarité et expliquer ainsi le degré de pessimisme des jeunes Français.
NO. - Qu'est-ce qui génère, alors, cette grande peur ?
O Galland. - La désorganisation profonde du système éducatif. Les jeunes Français ont des raisons objectives d'avoir peur : 18% des sortants du
secondaire n'ont aucun diplôme, et 20% de ceux qui ont entamé des études supérieures les abandonnent sans rien. Tout en revendiquant l'égalité de traitement pour tous, le système ne s'attache
qu'à dégager une élite. Mais pour sélectionner les meilleurs, on disqualifie les autres. On les élimine. Comment avoir confiance dans une société qui vous déclare incapable d'exercer un métier
qualifié ?
NO. - Cette peur commence donc bien avant que les jeunes ne frappent à la porte du marché du travail ?
O Galland. - Oui. Avec son obsession du classement, sa manie de trier les vainqueurs et les vaincus de la sélection scolaire, l'école produit très
tôt du découragement. La direction de l'évaluation du ministère de l'Éducation a suivi 8 000 élèves pendant leurs quatre années de collège. L'étude est passionnante. Elle montre une chute
impressionnante de la motivation scolaire, une montée du stress, de la démobilisation : 70% se disent inquiets en pensant à l'avenir. Plus ils avancent dans la scolarité, moins ils sont nombreux
à trouver leurs professeurs disposés à faire avancer les plus en difficulté, et plus l'image qu'ils ont d'eux-mêmes se dégrade. Le désenchantement touche non seulement les collégiens faibles mais
aussi les élèves moyens. Dans toutes les enquêtes, les jeunes se plaignent de la relation avec les enseignants. Ils ont le sentiment de ne pas être écoutés et aidés.
Un phénomène aggravé par la coupure toujours plus grande entre la culture adolescente et la culture scolaire. L'école n'intéresse plus les élèves, même les bons. Elle n'exerce plus sa fonction
intégratrice. C'est grave pour le pacte républicain. L'opposition entre les partisans d'Alain Finkielkraut, prônant une forme traditionnelle de transmission de la culture classique, et les
«pédagogues» réclamant la liberté et l'autonomie de l'élève pollue le débat. Alors qu'il faudrait s'intéresser à la qualité de l'offre pédagogique, à l'enseignement comme facteur de réussite des
élèves. Notre système sait dégager une élite mais ne sait pas faire réussir le plus grand nombre et la France occupe un rang médiocre dans les évaluations internationales. Aux Etats-Unis, Barack
Obama a décidé d'évaluer les enseignants et de les rémunérer en fonction de la réussite des élèves. On est loin de cela en France.
NO. - Pourquoi dites- vous que le débat public ne fait pas assez de place au problème de l'échec scolaire ?
O Galland. - Quand le président de la République propose de porter à 30% le taux de boursiers dans les classes préparatoires aux grandes écoles,
c'est symboliquement important. Mais les prépas représentent 76 000 élèves. Alors que les seconds cycles des lycées professionnels scolarisent 700 000 élèves ! Dix fois plus ! Or ces jeunes-là
connaissent des taux d'échec élevés, autour d'un quart au CAP et au BEP. Et la moitié des lycéens professionnels n'ont pas choisi leur
orientation ! De cela on ne parle jamais, car ces jeunes, contrairement aux étudiants, n'ont personne pour les représenter. Ne faut-il pas s'intéresser à ces « autres jeunes », ceux
qui ne réussissent pas ?
Propos recueillis par JACQUELINE DE LINARES